La tech africaine au centre de la lutte contre le Covid-19

LE 14 MAI 2020

On dit souvent que c’est du chaos que l’on voit émerger les plus grandes initiatives. En effet, aussi dramatique que soit cette crise sanitaire, il y a également de nombreuses opportunités qui émergent et qu’on peut saisir. Qu’en est-il de la tech africaine ? A-t-elle su se saisir de ces opportunités pour mettre en place des solutions innovantes et pérennes ?
Il y a quelques jours, différents acteurs du monde digital et celui des startups se sont réunis lors d’une nouvelle conférence en ligne organisée par i-conférences, dans la série Digital Africa Live, autour de la thématique suivante : « La tech africaine pour contrer le Covid-19. ». De nombreuses questions ont été abordées (dynamisme d’innovation, investissements, post-crise) par trois intervenants : Karim Sy (fondateur de Jokkolabs, le premier espace de co-working dédié aux startups francophones au Sénégal), Radia Garrigues (directrice exécutive de la Junior Achievement au Gabon) ainsi que Hicham Iraqi Houssaini (Directeur général Microsoft au Maroc). Concernant le modérateur qui a assuré la bonne distribution de la parole lors de cet échange, il s’agissait de Mélanie Bernard-Crozat, rédactrice en chef de S&D Magazine.
Face aux difficultés que rencontre l’ensemble de la planète, il est intéressant de voir comment les secteurs africains des nouvelles technologies ont œuvré pour lutter eux aussi contre cette pandémie et ses effets. Mais il est aussi pertinent d’observer comment elles ont muté pour tirer profit des opportunités qui ont émergé et comment elles vont pouvoir mettre en place des solutions qui vont se pérenniser pour l’après-crise.
– Des opportunités à saisir en période de crise –
Face à la situation actuelle, on voit un dynamisme très fort de l’ensemble de l’écosystème africain qui met en place de nombreuses innovations. Cette crise a fédéré de nombreuses initiatives et le numérique semble s’être imposé comme un des piliers stratégiques pour la société hyper-connectée dans laquelle nous vivons.
Au Sénégal, Karim Sy nous donne l’exemple de DaanCovid-19, une plateforme très ouverte qui a permis une véritable coopération. En effet, un formidable élan national s’est mis en place et, pour la première fois dans ce pays, tous les acteurs se sont réunis autour d’une même initiative pour apporter des réponses très concrètes au Ministère de la Santé qui est très sollicité en ce moment et fait face à un manque d’expertise. C’est ainsi qu’on a pu rapidement mettre en place un numéro d’urgence pour fédérer les appels ou que des informations sur la situation ont été disponibles en temps réel pour l’ensemble des citoyens.
Radia Garrigues, quant à elle, a souhaité préciser que le continent souffre de grandes disparités et que les investissements qui sont fait sur la tech en Afrique bénéficient majoritairement à seulement quatre pays : Nigeria, Kenya, Égypte et Afrique du Sud. Elle précise que le Gabon n’a pas vu un seul fond d’investissement international l’an passé. Cela a un impact certain sur le dynamisme des startups au sein des différents territoires. Par ailleurs, elle constate tout de même que deux types d’initiatives intéressantes ont vu le jour pour faire face à cette crise :
– des initiatives liées aux bailleurs de fonds. Si on doit retenir un exemple parmi ceux cité par l’interlocutrice, c’est celui de l’Agence Universitaire Francophone (AUF) qui a lancé un appel à candidature et à projets auprès de tous les enseignants, chercheurs et universitaires pour trouver des solutions innovantes face au Covid-19. Il y a eu déjà plus de 1800 projets qui ont été proposés à l’AUF.
– des initiatives liées aux startups. Elle cite l’exemple de la plateforme éducative Scientia qui a mis à disposition des élèves, parents ou professeurs des programmes de révisions gratuits.
Concernant le Maroc, Hicham Iraqi Houssaini affirme que deux volets ont dû être gérés de façon primordiale face à cette crise. Dans un premier temps, il a fallu assurer la continuité des services auprès de nombreuses entreprises et institutions. Cela a impliqué de mettre l’accent sur quatre axes fondamentaux : permettre au personnel de disposer d’une solution de visioconférence pour pouvoir travailler depuis son domicile ; fournir le matériel numérique nécessaire aux employés pour se connecter à distance ; accélérer les processus de validation en ligne ; la cybersécurité. Dans un second temps, il est important d’assurer la continuité d’apprentissage des jeunes. Pour ce faire, Microsoft a mis gratuitement à disposition sa plateforme Microsoft Teams pour une période de six mois.
– La cybersécurité au cœur des préoccupations –
Pour certaines entreprises, le fait de se connecter à distance a montré certaines failles concernant la sécurité de leurs données confidentielles et stratégiques. La tech a du s’adapter vite pour satisfaire les nouveaux besoins qui ont émergé avec la crise, et le secteur de la cybersécurité n’a pas pu suivre aussi rapidement. Tous les acteurs sont invités à proposer des solutions de protection des données afin d’améliorer la sécurité lors de l’utilisation des différents outils technologiques.
– Une collaboration qui dépasse la dichotomie public/privé –
Comme le rappel Karim Sy, lorsque l’on évoque la coopération qui se met en place, il ne faut pas simplement évoquer la coopération entre le secteur public et le secteur privé mais bien la coopération de l’ensemble de la société civile en général. L’engagement des populations se fait à tous les niveaux. On voit aussi bien des bénévoles, des entrepreneurs, des chefs d’entreprises, des experts… sortir de l’ombre afin d’apporter leur contribution. Ainsi on peut regrouper six types d’acteurs dans l’écosystème de collaboration pour lutter contre la pandémie : les États, les organisations de soutien à l’entreprenariat, les établissements de recherche, les milieux académiques, les investisseurs et le secteur privé. Il est primordial que ces différents acteurs se fédèrent pour que l’entreprenariat évolue rapidement et dans les meilleures conditions.
– Que prévoit on pour le post-crise ? –
Radia Garrigues est formelle, il faut à l’avenir apprendre à travailler tous ensemble. Il faut qu’un réel écosystème rassemblant ONG, gouvernements, grandes entreprises, PME, startups et autres institutions se mette en place. Cela n’a pas encore été le cas au Gabon où l’on n’a pas vu de grands projets émerger du collectif, contrairement à ce qu’on a pu comprendre des initiatives sénégalaises. Par ailleurs, s’il on évoque l’impact de la crise sur les startups, il faut pour l’avenir que les startups dépassent le simple stade de prototype auquel elles restent souvent bloquées. Il faut passer du prototype à l’industrialisation, en trouvant les marchés qui se jetteront sur leurs produits. Elle ajoute que toutes les startups ne s’en sortiront pas aussi bien que le fondateur de Zoom, qui a vu sa fortune augmenter d’un milliard de dollars, et que certaines périront faute d’avoir pu répondre aux attentes actuelles du marché. Au-delà de la question de financement, pour se lancer dans une aventure entrepreneuriale pérenne, il faut qu’investissement et activité de recherche et développement se combinent. Le problème, c’est qu’en Afrique, les pays investissement sept fois moins dans la recherche qu’en Occident. Le monde scientifique et de la recherche ainsi que celui de l’investissement doivent être en phase pour permettre une industrialisation des nombreux projets qui émergent selon elle. C’est pourquoi, elle invite les gouvernements à soutenir la recherche aux côtés des investisseurs traditionnels et bailleurs de fonds.
Le directeur de Microsoft Maroc ajoute sur ce point l’idée suivante : certes l’impact économique qui va suivre cette crise sera terrible, mais on verra surtout se creuser un écart entre différents secteurs d’activité. Selon lui, les startups qui vont saisir les opportunités et se diriger vers les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) seront les « grands gagnants » de demain et seront les startups qui auront un avenir certain. Même si les investissements vont surement se freiner un peu dans les prochains mois, ils se dirigeront tout de même vers les startups qui vont amener une nouvelle valeur ajoutée autour des nouveaux usages technologiques révélés par la crise. Par exemple, le e-commerce est en plein boom, et cela va perdurer, puisque forcés de commander en ligne, les gens vont se rendre compte que c’est plus facile qu’ils ne l’imaginaient.
– L’éducation : un domaine essentiel à soutenir pour l’avenir de l’Afrique –
Hicham Iraqi Houssaini en est certain, s’il y a un domaine sur lequel il faut faire des efforts dès à présent pour assurer un avenir radieux à l’Afrique, c’est bien celui de l’éducation. Il rappelle les chiffres suivants : l’Afrique c’est 1,3 milliards de personnes, dont plus de 40% ont moins de 16 ans. Il est par ailleurs prévu que l’Afrique dispose de plus de talents que la Chine, les États-Unis et l’Inde réunis, si on les oriente vers l’informatique. C’est donc le moment de montrer que le domaine d’éducation est capable de former les experts des NTIC de demain. Ainsi pour accompagner la transition mondiale vers le domaine de la technologie, qui s’accélère avec la crise actuelle, il faut investir dès à présent dans l’éducation.
– Vers une coopération panafricaine ? –
Karim Sy évoque l’idée d’une coopération entre les différents États pour mettre en communs les solutions qui fonctionnent. Ce qui risque de sortir de cette crise c’est la nécessité d’une réelle coopération panafricaine à l’avenir. Certes une coopération existe déjà et Smart Africa travaille pour soutenir cette dynamique, mais la coopération devra être pour évidente et plus poussée dans le partage des projets.
– La fracture numérique, un problème à régler immédiatement –
Comme l’a souligné une tierce personne qui a souhaité participer au débat, on parle d’appuyer les efforts dans le domaine de l’éducation, mais avec le confinement et la mise en place de cours en ligne, on s’est rapidement aperçu dans la quasi-totalité des pays d’Afrique que dans les zones rurales, les enfants n’ont pas toujours accès à un ordinateur voire même à l’électricité. Comment réduire la fracture numérique pour assurer la continuité de l’éducation tant espérée ? Si Hicham Iraqi Houssaini répond à cette question en évoquant les solutions qui sont en train d’être mises en place pour s’assurer que tout le monde dispose d’un accès à un outil numérique, Radia Garrigues soulève un point important : face à l’accès à la connectivité, un second enjeu, et non des moindres, apparaît, à savoir l’éducation à l’utilisation du numérique. Selon elle, il est inutile de promettre un accès à des produits technologiques et à un réseau internet si l’utilisation des ceux-ci n’est pas acquise.
LP
Source : La Tribune Tech 

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